La 1ère session de formation s’est tenue en Mars 2021.
Elle a rassemblé l’équipe enseignante et les participants soudanais et français, autour d’un programme chargé. Voici le résumé de ces quelques jours de terrains.
Le lundi 15 mars 2021 l’équipe s’est retrouvée pour la première fois au complet sur le campus de l’University of Khartoum. Cela a été, pour certains, l’occasion de retrouvailles avec d’anciens collègues et étudiants, et pour d’autres, le moment d’une première rencontre.


Dans la première partie de cette journée inaugurale, étudiants et enseignants de la faculté ont été invités à un repas convivial au Department of Sociology and Social Anthropology, notre partenaire principal. Ce dernier depuis février a proposé au projet CliMigraForm de s’installer dans un bureau au sein du département pour faciliter les rencontres et le travail commun, et rendre visible ce nouveau projet qui vient alimenter un ancien partenariat entre l’UoK et l’Université Paris 8.

Le repas a été suivi par une première présentation officielle du projet ADESFA CliMigraForm dans la salle de conférences de la Faculty of Economic and Social Studies. Son doyen, Dr Yasir Awad, a introduit l’évènement se réjouissant qu’un nouveau projet franco-soudanais voie le jour, axé sur deux questions cruciales au Soudan contemporain, l’environnement et les migrations. Après une introduction des deux coordinateurs du projet, Mohamed A. Bakhit et Barbara Casciarri, tous les enseignants, étudiants et associatifs participant à la session ont pu se présenter.
L’équipe s’est ensuite retrouvée pour une séance de briefing afin de préparer la première sortie de terrain du lendemain. Les coordinateurs ont fourni les informations sur le contexte recueillies pendant deux semaines de pré-enquête à Burri, l’ensemble des formateurs a fait une présentation pédagogique sur la session donnant des précisions sur les outils méthodologiques à mettre en oeuvre.


Le mardi 16 mars 2021 nous nous sommes rendus aux locaux de l’un des comités de quartier de Burri, celui de Kuria (où se trouve le logement du groupe d’étudiants et d’associatifs), qui sont situés dans une ancienne école maternelle avec jardin.




Les membres de la lajna mugawama (comité de résistance) et de la lajna al-taghir wa al-khidamat (comité pour le changement et les services) nous ont accueillis et nous avons pu réaliser avec eux un premier entretien collectif. Ce dernier a visé l’histoire socio-économique et politique de Burri, en général, et du quartier Kuria, en particulier. La présence parmi nos interlocuteurs de cultivateurs nous a permis d’approcher deux thématiques fondamentales de notre enquête : l’agriculture urbaine et l’impact des inondations de 2020.
Ce premier entretien a été fondamental pour le démarrage de l’enquête car il nous a permis d’approfondir la connaissance de ces nouvelles institutions, les comités de résistance, qui depuis la révolution de 2019, suite à la dissolution des comités populaires (émanation du régime) sont devenus des organismes de base de gestion de la vie quotidienne dans les quartiers.



Si en ce moment les comités s’occupent surtout d’assurer la distribution de certains biens frappés par la pénurie (gaz, farine, huile), leur rôle politique dans la « sauvegarde » des valeurs de la révolution de 2018-2019 demeure, central de même que celui d’organiser la solidarité face aux « catastrophes environnementales » (comme les inondations de l’automne 2020).


Le mercredi 17 mars 2021 nous sommes partis pour un deuxième entretien collectif à Burri Laamab et Burri Sherif (partie nord-est à proximité du Nil), qui sont historiquement les premiers parmi les Barari (pl. de Burri) a avoir été peuplés. Ancien village rural, après la colonisation ce site sera progressivement intégré dans l’agglomération urbaine de Khartoum.

Nous avons été accueillis chez les Ashraf : descendants du Sherif Yusif Al-Hindi, qui implanta ici une branche de la confrérie soufi Hindiyya au début du 20ème siècle, ce groupe demeure une composante cruciale dans la vie socio-économique de Burri outre qu’une référence religieuse et culturelle historique qui dépasse le niveau local. Dans le jardin de leur maison, nous avons écouté l’historien Hassan parler des traditions historiques sur la fondation de Burri et des pratiques agricoles, et un des enfants du Sherif nous raconter l’histoire de la confrérie.
Par la suite nous avons été accompagnés dans la visite des lieux historiques de la confrérie : situés à l’intérieur d’un enceinte, ils comprennent un sanctuaire, une mosquée, une salle de réception, des espaces d’accueil des fidèles et la khaloua, école coranique, mais aussi un ancien puits encore fonctionnant et un moulin où sont traités les céréales venant des terres de la confrérie dans la Jezira, pour nourrir disciples et invités.

C’est ce lien entre la confrérie soufi et la production agricole locale que nous avons approché dans la dernière partie de notre terrain, où nous avons pu visiter un jeref, champ cultivé par submersion pendant les crues annuelles du Nil Bleu.

Très importants dans le passé, au niveau de l’approvisionnement alimentaire de la ville et de l’emploi local, ces parcelles et l’agriculture urbaine en général ont commencé à disparaître sous la pression d’une urbanisation grandissante à partir des années 1990s. Ce jeref est l’un des rares qui, renfermé ente des projets de construction, reste encore cultivé à Burri.
A partir du jeudi 18 et jusqu’au lundi 22 Mars, nous avons privilégié le travail d’analyse des données issues de ces deux premières journées intensives de terrain. Nous avons alternés des séances collectives de debriefing sur les entretiens et observations réalisées, avec du travail réalisé en petits groupes pour le décryptage et mise en forme des données. Les matériaux semi-élaborés produits par chaque sous-groupe (fiches de synthèse d’entretien ou d’observation) ont été par la suite partagés et rediscutés. D’autres outils ont été expérimentés : un tableau synoptique d’analyse des discours sur les alluvions, un glossaire sur les techniques agricoles et l’environnment, des schémas généalogiques, des transcriptions et traductions. En plus de ce travail essentiel de systématisation et de première lecture des données, visant à préciser davantage questions de recherche et catégories, une partie de nos discussions se sont focalisées sur la réflexivité (conditions de « production des données », biais, « politiques du terrain »).


Nous avons aussi opté pour consacrer les sorties de ces jours aux pratiques d’observations, souvent négligées dans la situation ethnographique par rapport aux entretiens. Une observation matinale a été réalisée dans le marché principal de Burri, Suk Al-Arba et les espaces environnants.


L’analyse des premiers entretiens et un travail de lecture de cartes évolutives à partir de Google Earth, nous a poussé à regarder de près l’un des sites identifiés par les interlocuteurs comme possible « cause » de la nature catastrophique des dernières crues : le pont de Manchiya, expression d’une urbanisation accélérée qui a touché Burri dans les derniers années. Partagés en groupes, nous y avons réalisés une observation nocturne et une diurne, au matin tôt.


Après cette première semaine riche d’expériences et des données, l’évolution de la situation sanitaire nous a portés à écourter la durée de la session et à remette certaines des activités prévues (notamment l’atelier de cartographie participative) à une session ultérieure.
Les étudiants soudanais et les deux doctorants français restés sur place, sous encadrement de la coordinatrice du projet, ont prolongé ce travail par une réunion d’élaboration des données, et deux sorties de terrain avec entretiens sur le mois d’Avril. Ces nouvelles données, jointes à celles recueillies lors de la première session, feront l’objet d’une élaboration conjointe (en partie à distance) dans les semaines suivantes : une première synthèse des résultats et quelques matériaux bruts seront alors mis sur le site, et serviront pour prospecter la préparation de la deuxième session de formation en automne.